Observatoire des dépenses des collectivités territoriales

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mercredi 14 janvier 2009

A Rouen, Fabius joue avec les mots

Le service de la gestion de l'eau est un instrument qui peut servir à des fins assez éloignées de la production et de la distribution d'eau potable à la population. Rouen, ou plus exactement la Communauté d'Agglomération Rouennaise (CAR), en est un exemple. Actuellement, la gestion de l'eau n'est pas unifiée au niveau de l'intercommunalité :

  • dans certaines communes, la gestion de l'eau est déléguée à Veolia. Le contrat expire fin 2009,
  • dans d'autres communes, la gestion est déléguée à Suez. Le contrat expire un an plus tard,
  • enfin, le service de l'eau est assuré par une régie directe dans plusieurs communes, dont Rouen.
La question de la gestion de l'eau dans l'agglomération refait surface en raison de l'expiration prochaine du contrat de délégation avec Veolia. Des élus ont plaidé en faveur de l'extension de la régie à cette occasion. Laurent Fabius, Président de la CAR, vient d'annoncer l'extension de cette régie directe, et s'appuie pour cela sur cette étude : etude-mode-dexploitation.ppt

Les vrais enjeux de l'extension de la régie à Rouen
Cette décision inattendue de Laurent Fabius intervient dans un contexte difficile : le Président de la CAR ne parvient pas à transformer la Communauté d'agglomération en Communauté urbaine. Il a entre autres besoin de l'appui des élus verts et de l'extrême gauche. L'extension de la régie est un geste pour obtenir leur soutien.

Par ailleurs, il est annoncé que l'extension de la régie directe est la solution la moins coûteuse pour les usagers. Or ce ne sont pas là les conclusions de l'étude, pourtant commandée par Laurent Fabius lui-même. En effet :
  • la délégation de service public est d'emblée évacuée de la comparaison, ce qui pose question
  • on compare "régie contrôlée" et régie directe,
  • le résultat de cette comparaison tronquée penche en faveur de la "régie contrôlée".
On peut donc se demander à quoi il sert de commander des études pour en prendre le contre-pied. Mais venons-en au véritable objet de ce billet : pourquoi parler de "régie contrôlée" ? Il s'agit en fait d'une régie autonome, c'est-à-dire que la gestion du service de l'eau par un établissement public industriel et commercial (EPIC).
Lorsque Laurent Fabius a commandé l'étude, penchait-il en faveur de ce mode de gestion et pensait-il que le terme "autonome" aurait du mal à passer ?

Tout le monde sait que la politique, c'est aussi de la communication, mais rebaptiser les modes de gestion, ce n'est pas "un peu limite" ?

jeudi 11 décembre 2008

Que signifie la "remunicipalisation" de l'eau ?

wallace.pngDans toute campagne qui vise à emporter la sympathie de l'opinion, il est particulièrement important d'analyser les mots. Ceux-ci, assenés comme des slogans, finissent par s'imposer comme des évidences et deviennent imperméables à la critique et à la profondeur historique. C'est le devoir des citoyens et particulièrement des élus de ne pas être dupes des mots en vogue.

Parmi ces mots en vogue, il y celui de "remunicipalisation" de la gestion de l'eau. C'est un sujet dont on parle beaucoup en ce moment, notamment à cause de la décision des élus de Paris de "remunicipaliser" l'eau dans leur ville.

Alors, qu'est-ce qu'une campagne pour "remunicipaliser" la gestion de l'eau signifie ? Que l'eau doit être gérée en régie directe par les communes, comme au bon vieux temps ? Ce soi-disant retour à un âge d'or indéterminé nécessite un petit point historique.

La gestion de l'eau en France, c'est une série de mouvements de balancier entre gestion en régie et gestion déléguée. Sous le Second Empire, Haussmann arrive à la Préfecture de la Seine en 1853. Il lance une politique de grands travaux visant à rendre la ville de Paris plus salubre. Le service de l'eau est un élément majeur de cette préoccupation progressiste et hygiéniste. C'est à cette même époque que naît la délégation de service public, caractéristique du modèle français de la gestion de l'eau... et la Compagnie Générale des Eaux. Très vite, la Générale obtient des concessions à Lyon, Nantes, Paris (en 1860). En 1880 naît la Lyonnaise des Eaux.

La période qui suit est plus favorable à une gestion "municipale" de l'eau, c'est-à-dire à la régie. L'instauration de l'élection du maire au suffrage universel en 1884 ouvre une période de socialisme municipal qui va durer jusqu'à la Grande Guerre. Les élus socialistes et radicaux des grandes villes souhaitent en effet reprendre la main sur les grandes infrastructures. Dans l'entre-deux-guerres, La Lyonnaise et la Générale développent leurs compétences. Elles échappent ensuite à la vague de nationalisations prévues par le Conseil National de la Résistance. Pendant les Trente Glorieuses, la France s'urbanise, les besoins en infrastructures sont immenses. Trois compagnies conquièrent les marchés de l'eau. De nouveaux enjeux, tels que la pollution liée à une agriculture de plus en plus intensive, rendent nécessaires une nouvelle expertise.

De ce bref aperçu historique, on peut tirer quelques remarques :

- la gestion de l'eau varie selon les périodes historiques, mais l'origine du modèle français actuel est marqué par le développement des concessions (une des formes de la délégation de service public). Le terme de "remunicipalisation" renvoie donc non pas à une origine, mais peut-être à la période qui a précédé la Grande Guerre,

- les périodes de grands changements (mouvement hygiéniste du XIXe siècle, Trente Glorieuses) sont marquées par un essor de la délégation à des entreprises qui développent une nouvelle expertise.

Alors l'enjeu est le suivant : sommes-nous dans une période où la gestion de l'eau n'est pas une question stratégique (préservation de la ressource et de sa qualité) ? Est-ce que les municipalités ont les moyens d'engager une politique de recherche et développement ?

"Remunicipaliser", c'est possible, mais à moyen et long terme, on fait comment pour faire face aux enjeux environnementaux posés par la gestion de l'eau ?

(Pour plus de détails sur les modes de gestion de l'eau, voir cette petite notice sur les modes de gestion de l'eau)

vendredi 21 novembre 2008

Petite notice juridique pour mieux comprendre la gestion de l'eau

canalisation.pngLa gestion de l'eau est un service de proximité essentiel rendu par les collectivités territoriales. Pour mener à bien cette mission, plusieurs grandes "formules" sont à leur disposition :

La régie

  • La régie simple : la collectivité assure la gestion du service avec son propre personnel. Elle procède à l'ensemble des dépenses et à leur facturation à l'usager. Elle peut faire appel à des prestataires extérieurs mais les rémunère directement dans le respect du code des marchés publics. La gestion de l'eau est alors un simple service de la collectivité.
  • La régie autonome : c'est un établissement public qui reste sous le contrôle de la collectivité mais qui dispose de son propre conseil d'administration et d'un directeur. Son conseil vote le budget et fixe les prix du service.

La délégation de service public

  • La concession de service public : c'est le contrat par lequel une personne publique, le concédant, délègue à un cocontractant public ou privé, le concessionnaire, l'exercice même du service public que ce dernier assure, à ses frais et risques, en étant rémunéré par des redevances perçues sur les usagers.
  • L'affermage, est le contrat par lequel une personne publique délègue à son cocontractant l'exécution même d'un service public, lui fournit les installations nécessaires à cette charge et perçoit en contrepartie une redevance fixe. La différence avec la concession est perceptible à deux égards. La rémunération du fermier sera égale à la différence entre les montant des redevances perçues sur les usagers et celui de la redevance fixe versée à la collectivité publique. Ensuite le fermier reçoit de la collectivité les installations nécessaires à l'exploitation du service.
  • La régie intéressée : le service public est confié par contrat à un organisme, public ou privé qui va se trouver, non dans la situation d'un entrepreneur (comme le concessionnaire), mais dans celle d'un gérant intéressé. La rémunération du régisseur dépend non des bénéfices réalisés, mais d'autres résultats de sa gestion : économies réalisées, gains de productivité, extension du service, amélioration de sa qualité.
  • Le contrat de gérance : ce contrat ne comporte pas d'intéressement du gérant aux résultats.
  • Les contrats de délégation innomés : il s'agit de tous les contrats de concession qui ne sont pas ceux précités.