wallace.pngDans toute campagne qui vise à emporter la sympathie de l'opinion, il est particulièrement important d'analyser les mots. Ceux-ci, assenés comme des slogans, finissent par s'imposer comme des évidences et deviennent imperméables à la critique et à la profondeur historique. C'est le devoir des citoyens et particulièrement des élus de ne pas être dupes des mots en vogue.

Parmi ces mots en vogue, il y celui de "remunicipalisation" de la gestion de l'eau. C'est un sujet dont on parle beaucoup en ce moment, notamment à cause de la décision des élus de Paris de "remunicipaliser" l'eau dans leur ville.

Alors, qu'est-ce qu'une campagne pour "remunicipaliser" la gestion de l'eau signifie ? Que l'eau doit être gérée en régie directe par les communes, comme au bon vieux temps ? Ce soi-disant retour à un âge d'or indéterminé nécessite un petit point historique.

La gestion de l'eau en France, c'est une série de mouvements de balancier entre gestion en régie et gestion déléguée. Sous le Second Empire, Haussmann arrive à la Préfecture de la Seine en 1853. Il lance une politique de grands travaux visant à rendre la ville de Paris plus salubre. Le service de l'eau est un élément majeur de cette préoccupation progressiste et hygiéniste. C'est à cette même époque que naît la délégation de service public, caractéristique du modèle français de la gestion de l'eau... et la Compagnie Générale des Eaux. Très vite, la Générale obtient des concessions à Lyon, Nantes, Paris (en 1860). En 1880 naît la Lyonnaise des Eaux.

La période qui suit est plus favorable à une gestion "municipale" de l'eau, c'est-à-dire à la régie. L'instauration de l'élection du maire au suffrage universel en 1884 ouvre une période de socialisme municipal qui va durer jusqu'à la Grande Guerre. Les élus socialistes et radicaux des grandes villes souhaitent en effet reprendre la main sur les grandes infrastructures. Dans l'entre-deux-guerres, La Lyonnaise et la Générale développent leurs compétences. Elles échappent ensuite à la vague de nationalisations prévues par le Conseil National de la Résistance. Pendant les Trente Glorieuses, la France s'urbanise, les besoins en infrastructures sont immenses. Trois compagnies conquièrent les marchés de l'eau. De nouveaux enjeux, tels que la pollution liée à une agriculture de plus en plus intensive, rendent nécessaires une nouvelle expertise.

De ce bref aperçu historique, on peut tirer quelques remarques :

- la gestion de l'eau varie selon les périodes historiques, mais l'origine du modèle français actuel est marqué par le développement des concessions (une des formes de la délégation de service public). Le terme de "remunicipalisation" renvoie donc non pas à une origine, mais peut-être à la période qui a précédé la Grande Guerre,

- les périodes de grands changements (mouvement hygiéniste du XIXe siècle, Trente Glorieuses) sont marquées par un essor de la délégation à des entreprises qui développent une nouvelle expertise.

Alors l'enjeu est le suivant : sommes-nous dans une période où la gestion de l'eau n'est pas une question stratégique (préservation de la ressource et de sa qualité) ? Est-ce que les municipalités ont les moyens d'engager une politique de recherche et développement ?

"Remunicipaliser", c'est possible, mais à moyen et long terme, on fait comment pour faire face aux enjeux environnementaux posés par la gestion de l'eau ?

(Pour plus de détails sur les modes de gestion de l'eau, voir cette petite notice sur les modes de gestion de l'eau)